Le vrai luxe, c'est de prendre son temps.

Tout d’abord, la notion du temps peut se définir différemment, selon le point de vue duquel nous nous plaçons. A l’échelle de la Terre, en continuel mouvement, chaque chose a une raison d’être, grâce à la combinaison parfaite de différents facteurs. Il aura fallu des milliards d’années pour que notre planète bleue créée les conditions idéales environnementales de notre existence. Nous sommes la résultante d’une évolution, immuable et constante. Cependant, à l’échelle humaine, depuis la révolution industrielle, l’Homme ne cesse de compter, ou de décompter, son temps avec l’exigence d’en perdre le moins possible ou d’en gagner le plus possible. Dès lors, nous nous interrogerons si, aujourd’hui, « le vrai luxe, et que personne ne pense plus à s’offrir, c’est de prendre son temps. » C’est pourquoi, nous étudierons, dans un premier point, la valeur, si importante, que nous accordons à la mesure de notre temps dans nos sociétés contemporaines, et ce en quoi c’est une nécessité pour leur fonctionnement. Puis, en second lieu, nous réfléchirons à la perspective que la quête de la vitesse, de la rapidité, nous conduit à la perte de repères et de sens.
 
Dans nos sociétés dites développées, industrialisées, si chacun prenait son temps, c’est tout un système économique qui serait à remettre en question. Benjamin Franklin a dit : « Le temps, c’est de l’argent. » A présent, cette idée est si vraie dans notre état d’esprit, que nous parlons de perdre ou de gagner du temps. Le temps est devenu une valeur capitalisable, comme l’argent. Dans une campagne actuelle d’Amnesty International, nous pouvons lire : « Donnez ce que vous avez de plus précieux… votre temps. » En effet, nos sociétés de consommation fonctionnent, car nous avons accepté, intégré cela. Dans les usines, dans tous les secteurs d’activité, le travailleur se doit d’être le plus productif possible, d’aller le plus vite qu’il peut, afin d’assurer une productivité et un rendement qui permettra de produire en masse et à coût réduit sur une courte durée. Si chacun se permettait d’aller à son rythme, ce serait l’anarchie. C’est presque un devoir civique. Par ailleurs, tout le monde y trouve son compte. Le consommateur achète à bas prix et les entreprises s’enrichissent. Tout ceci nous permet un niveau de vie d’aisance dans lequel vivent nos sociétés capitalistes. La valeur marchande que nous accordons à notre temps utilisé, semble être le fondement de notre richesse.
En conséquence, dans nos mentalités, le luxe n’est pas de prendre son temps, mais d’en gagner. C’est pourquoi, on nous apprend à gérer notre temps de la manière la plus rentable, ainsi que le stress qui l’accompagne. En effet, ce qui intéresse l’Homme moderne, c’est le toujours plus, le plein, le gain. Dès lors, ce qu’il souhaite s’offrir, c’est une vie remplie et pour cela, c’est toute une industrie qui se développe. Les livres de développement personnel chez nos libraires en sont le reflet, ce que nous voulons désormais, c’est apprendre à gérer notre stress. Toutes les philosophies zen et de bien-être en témoignent. L’Homme qui se veut moderne et socialisé doit avoir un agenda rempli et une vie occupée. Ceux qui ne rentrent pas dans ce système en sont exclus, nous les disons marginaux. La maîtrise de son temps est un signe de réussite sociale.
Qui plus est, grâce à la révolution industrielle, aux innovations techniques et technologiques, on perd moins de temps à faire certaines tâches quotidiennes. L’invention des appareils électroménagers, de l’informatique, et autres, nous apporte un gain de temps prodigieux, comparativement aux siècles derniers. Or, les femmes qui sont souvent assignées aux tâches ménagères, sont les premières à en être favorisées. Par exemple, si elles devaient laver leur linge à la main comme auparavant, ceci leurs prendrait beaucoup plus de temps. De la sorte, le progrès leurs apporte un confort domestique, duquel elles ont le temps, désormais, de travailler. Ce qui ne les retient plus au foyer, les invite à prendre et à avoir du temps pour s’engager dans une vie professionnelle. En fin de compte, la libération de la femme est également due à la libération de leur temps. Ainsi, nous pouvons affirmer, que dans nos sociétés, l’Homme est conscient du temps qui rythme sa vie, et ce à tel point qu’il est en constante quête d’en prendre un peu plus.
 
Mais, bien que le progrès nous conduise à en faire toujours plus sur une durée de temps plus courte, paradoxalement cela ne signifie pas que nous prenons plus notre temps. A observer notre société, ce serait, en fait, le contraire. Nous disons sans cesse : « Je n’ai pas le temps » ou « je n’ai plus le temps ». Il faut que tout aille toujours plus vite, plus loin. Pourtant, nous avons désormais des moyens de communications à distance qui sont instantanés, tels que le portable, où l’on peut être joignable à tout moment, internet avec la messagerie instantanée ou les courriels, etc. Les transports n’ont jamais été aussi rapides. Il suffit d’être sur un quai de métro à Paris pour comprendre que les gens se poussent, se dépêchent, se pressent, parce qu’ils n’ont pas le temps de prendre leur temps. D’ailleurs, c’est même une phrase qui est en pleine expansion dans notre langage. Il en résulte cette finalité que nous courons sans arrêt.
En outre, la notion de prendre son temps est abstraite. Le temps ne devrait pas être une valeur quantifiable, c’est l’Homme qui en a créé une mesure. A l’échelle de la Terre, il se traduit par des cycles de vie et de mort. Par conséquent, nous pouvons définir la notion de prendre son temps à partir du principe de vivre en adéquation avec ces cycles terrestres, c’est-à-dire biologiques et climatiques. Ces derniers rythment nos vies que nous en ayons conscience ou pas. Le fait de ne pas s’offrir le luxe de prendre son temps a des conséquences sur notre environnement et sur nous-mêmes, d’où les maux de nos sociétés, tels que le stress, la dépression. Nous sommes responsables de cette humanité en perte de repères et de sens. Le fait d’accepter de prendre son temps, c’est, aussi, accepter que notre environnement ait le sien propre. Dans notre course effrénée à vouloir toujours plus, nous utilisons, actuellement, plus de ressources que notre Terre a de temps pour se régénérer. A force de désirer aller toujours plus rapidement, quand nous cultivons notre terre, nous l’aspergeons d’engrais. L’objectif est d’accélérer le processus de vie. Or, la nature a besoin de prendre son temps pour advenir, et nous devrions le prendre avec elle, car nous sommes en action pour détruire notre écosystème. Nous touchons à l’essence même de notre propre existence. Le concept de prendre son temps est, à ce point, plus qu’un luxe, une nécessité vitale, ne serait-ce que par respect pour nous-mêmes, car cela garantit notre survie.
Enfin, nous pouvons considérer que prendre son temps est une nécessité, afin de se ressourcer et de se construire, sous peine de mettre en péril l’équilibre vital à chaque être. Pourtant, ce qui devrait être naturel est un luxe hors de la pensée ambiante. De plus, notre civilisation est bâtie de telle sorte, que celui qui se l’octroie, est en marge de notre société. Cette notion évoque, aujourd’hui, un sentiment de vide à combler. Le temps doit rapporter de l’argent. En effet, pour une personne au chômage, nous parlons de désocialisation et de réinsertion professionnelle. En outre, si nous pensons à l’agriculture biologique aujourd’hui, elle se doit de respecter que les cultures poussent naturellement, à leur rythme, soit en prenant leur temps. Or, précisément, c’est un luxe que de pouvoir s’offrir de s’alimenter avec ses produits. Ce qui est rare devient luxueux, car ce qui est rare prend de la valeur. Si chacun décidait de vivre en fonction de son temps, c’est-à-dire au rythme naturel que la vie prend pour faire naître et mourir chaque chose, c’est toute notre économie, nos sociétés capitalistes et libérales qui s’écrouleraient comme un château de cartes. En revanche, c’est le minimum que nous puissions faire pour nous-mêmes, d’autant plus que cela règlerait les maux auxquels nous sommes sujets.
 
En conclusion, le fonctionnement de nos sociétés actuelles ne nous invite pas au luxe de prendre notre temps. A cela s’oppose le constat que ce serait une nécessité pour notre civilisation. L’Homme, comme tout ce qui existe en ce monde, a besoin de vivre avec son temps, en adéquation avec lui. Cet ensemble fonde notre écosystème, les espèces vivantes. Il est le garant de sa pérennité. Le fait que cela soit devenu rare, devrait sans doute nous inquiéter. Si l’être humain n’a plus d’espace pour prendre son temps, cela signifie, donc, qu’il vit hors du temps, d’où la perte de repères et de sens à sa propre existence. Nous pourrions nous interroger sur les conséquences que cela aura quant à sa survie, en fin de compte.
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